Une étude publiée dans la revue American Journal of Pathology (Juin 2013) montre que la formation des dents peut être affectée par une exposition à de faibles doses de bisphénol A (BPA) – une molécule omniprésente utilisée dans les plastiques et les résines des boîtes de conserve, qui imprègne 95 % de la population. Surtout, ils suggèrent qu’une maladie émergente – l’hypominéralisation des molaires et des incisives (MIH) – pourrait être due à une exposition au BPA dans la période périnatale. Ce trouble nouveau n’avait jusqu’à présent jamais été fermement attribué.
« Le MIH est une pathologie récemment décrite, caractérisée par des taches blanchâtres ou jaunes sur les premières molaires ou les incisives permanentes, explique Sylvie Babajko (Inserm), qui a dirigé ces travaux. Les études épidémiologiques menées jusqu’à présent donnent une grande amplitude de prévalence, entre 2,5 % et 40 %, selon les régions du monde et/ou les critères de diagnostic, mais on peut considérer qu’en moyenne, cette pathologie concerne environ 16 % à 18 % des enfants. » Ce défaut de minéralisation est bénin, mais il peut rendre les dents plus fragiles, en particulier plus susceptibles à la carie. Lorsqu’il touche les incisives, il peut être assez disgracieux.
RÉSULTATS SANS AMBIGUÏTÉ
Pour les auteurs, le MIH pourrait ainsi être le signe visible d’une exposition au BPA – ou à des molécules présentant un mode d’action similaire – pendant les périodes-clés du développement. Or un grand nombre de travaux menés sur l’animal ou d’études de cohortes humaines montre que l’exposition au BPA in utero ou aux plus jeunes âges de la vie est associée à des probabilités accrues de développer certaines pathologies, plus tard dans la vie : obésité et diabète de type 2, cancers hormono-dépendants (sein, prostate), troubles de la reproduction, troubles neuro-comportementaux, etc. Ces recherches pourraient donc permettre un suivi plus attentif de certains enfants atteints de MIH.
Les résultats présentés par les auteurs sont sans ambiguïté. Deux groupes de seize rats mâles ont été étudiés. Le groupe témoin n’a pas été mis en contact avec du BPA. Le second groupe est issu de femelles ayant été exposées par voie orale, dès la conception, à une dose quotidienne de 5 microgrammes par jour et par kilo de poids (5 µg/j/kg) de BPA, soit un niveau d’exposition dix fois plus faible que la limite théoriquement acceptable, calculée par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA). Ensuite, après leur naissance, dès leur sevrage, les rats ont été eux-mêmes soumis à ce régime.
« Un tel protocole mime au plus près la situation rencontrée dans la population humaine, puisque l’exposition au BPA est quasi permanente », dit Mme Babajko. Résultat : les trois quarts des rats exposés présentent des taches opaques sur les incisives, analogues au fameux MIH, remarqué ces dernières années chez les enfants. A l’inverse, aucun rat témoin n’a développé l’anomalie.
Les auteurs n’en sont pas restés aux ressemblances visuelles. Ils ont analysé l’émail des dents des rongeurs et celles d’humains atteints et constatent des analogies dans la composition de l’émail défectueux – avec une teneur plus faible en minéraux. Au microscope, les mêmes défauts de structure apparaissent dans un cas comme dans l’autre. Les chercheurs ont, de plus, identifié le mécanisme d’action du BPA : celui-ci influence l’expression de deux gènes impliqués dans la formation de l’émail.
Ces travaux devront être confirmés par d’autres études testant plusieurs niveaux d’exposition, sur des mâles et des femelles – une seule dose ayant été testée, uniquement sur des mâles. En l’état, ces travaux ne permettent pas d’attribuer au BPA (ou aux molécules ayant un mode d’action comparable) l’ensemble des MIH constatés chez les jeunes enfants, mais ils suggèrent que de larges franges de la population sont exposées – principalement à travers l’alimentation – à des doses bel et bien actives de BPA.
Banni en 2011 des biberons, le BPA sera interdit en France dans tous les contenants alimentaires à partir de 2015.
http://www.lemonde.fr/planete/article/2013/06/11/le-bisphenol-a-altererait-l-email-des-dents-des-enfants_3427711_3244.html
More: