Comme la plupart des professions, les chirurgiens-dentistes ont été frappés de plein fouet par la crise liée à la pandémie de coronavirus. Dès le 16 mars, il a été décidé au plan national la fermeture de l’ensemble des cabinets, dans un souci de freiner la contamination, mais aussi de protéger les patients et les praticiens. Les soins dentaires sont en effet particulièrement problématiques dans un contexte épidémique, s’agissant le plus souvent de gestes chirurgicaux invasifs.
Il a pourtant fallu organiser très vite la prise en charge des urgences, et trouver des solutions pour ne pas abandonner les patients. Dans les Bouches-du-Rhône, le Conseil départemental de l’Ordre des chirurgiens-dentistes a mis en place un dispositif de régulation pour parer au mieux à la situation : « La première des choses, explique son président, Jean-Luc Prado, c’est que nous avons demandé expressément aux praticiens de rester joignables 7 jours sur 7 pour répondre à leurs patients et, à chaque fois que c’est possible, traiter le problème à distance, en délivrant si besoin des ordonnances. S’appuyant sur une fiche de régulation très précise et efficace, ce premier diagnostic doit permettre d’estimer les cas pour lesquels un geste invasif est indispensable.«
Cas qui seront alors renvoyés sur le numéro d’urgences du Conseil de l’Ordre – le 0892 566 766, ouvert 7 jours sur 7 de 9 h à 13 h et de 14 h à 18 h -, chargé de ventiler les appels sur la dizaine de cabinets habilités à recevoir les patients en urgence, et donc dotés des Équipements de protection individuelle (EPI) indispensables : masques FFP2, blouses, visières ou lunettes de protection et surchaussures qui, comme pour tous les professionnels de santé, ne sont pas légion.
Dans ce contexte, certains centres de santé dentaire privés* sont intervenus auprès de l’Agence régionale de santé (ARS) pour être intégrés au dispositif de garde, et ont obtenu une autorisation du Conseil de l’Ordre et de l’ARS. Mais ce qui n’était pas prévu, c’est que ces structures indépendantes du fonctionnement ordinal, du fait de leur statut, diffusent leur propre communication.
C’est pourtant ce qu’a fait le centre dentaire de Bonneveine à Marseille – structure du groupe Doctocare, filiale de Doctegestio -, dans un communiqué de presse dont La Provence a publié un extrait dans son édition d’hier. Il y est conseillé aux patients d’appeler directement le numéro du centre aux horaires normalement dévolus au numéro de régulation, et de se reporter sur ce dernier en dehors de ces horaires, alors qu’il n’y aura donc personne pour leur répondre… Une communication mensongère qui, dans le climat de tension où se trouve la profession, a suscité la colère et l’incompréhension de Jean-Luc Prado. « Je parle ici en totale symbiose avec l’ARS et nous voulons insister sur un point : l’ensemble de la profession doit se conformer aux directives du Conseil de l’Ordre, c’est valable pour les libéraux comme pour les salariés des centres de santé, souligne-t-il. Il n’est pas question que ces centres jouent les électrons libres.«
Du côté de Doctocare, on affirme que « ce process a été validé par nos praticiens avec le Conseil de l’Ordre« . « Mais bien entendu, il est hors de question de poser problème au Conseil de l’Ordre qui nous a fait confiance, et nous allons rectifier notre communication« , rassure Carine Benarous, directrice des opérations dentaires chez Doctocare, glissant au passage qu’il pourrait s’agir là d’une forme de « défiance des libéraux à l’égard des centres de santé« .
Car cette crise dans la crise vient bien révéler les tensions qui existent à ce sujet au sein de la profession. Et Jean-Luc Prado ne s’en cache pas : « On peut s’interroger sur ces personnes privées qui ont investi autant d’argent dans des structures qui ont le statut d’association loi 1901, et n’ont donc, soi-disant, pas vocation à faire de bénéfices… Cela reste difficile à comprendre. De plus certains d’entre eux ont déjà montré un respect de la déontologie et de l’éthique à géométrie variable, au point de se retrouver devant les tribunaux. Dans la situation actuelle, ils doivent accepter les règles. Je reconnais que la première semaine, les praticiens libéraux n’ont pas été à la hauteur pour répondre aux appels. Certains chirurgiens-dentistes de garde ont dû faire face à plus de cent appels par jour au début, et j’ai découvert des praticiens libéraux très dévoués et investis. Aujourd’hui, le dispositif fonctionne.«
*Ces centres de santé dentaire, souvent low cost, gérés par des personnes privées via des associations à but non lucratif créées à cet effet, se sont multipliés depuis la loi dite Bachelot de 2009. Les chirurgiens-dentistes qui y travaillent sont salariés.
A Marseille encore, le centre dentaire Clinadent assure les urgences …