A l’occasion du congrès de l’Association Dentaire Française (ADF) qui s’ouvre le 27 novembre, le site d’information de santé bucco-dentaire Dentaly.org publie une enquête faisant un état des lieux des difficultés d’accès des Français aux soins dentaires et notamment de ce qui en constitue le principal frein : l’achat et la mise en place des prothèses. Réalisée par l’Ifop auprès d’un échantillon représentatif de 1003 Français, cette étude met en lumière une nette dégradation de l’accès aux soins dentaires, principalement à cause du coût de prothèses dentaires dont la prise en charge à 100% annoncée récemment par le gouvernement rend pour le moins circonspects les Français.
LES CHIFFRES CLÉS
Une nette dégradation de l’accès aux soins bucco-dentaires en France
De moins en moins de personnes suivent les recommandations de l’UFSBD en matière de fréquence de soins bucco-dentaires : à peine plus d’un Français sur deux (55%) se rend au moins une fois par an chez un dentiste, soit une proportion en baisse significative : – 4 points en cinq ans. A l’inverse, une proportion croissante de Français (+ 10 points) admet ne pas y être allé depuis au moins deux ans (25%, contre 15% en 2013).
Cette moindre fréquentation des cabinets dentaires va de pair avec un mécontentement croissant à l’égard des conditions d’accès aux soins bucco-dentaires en France : un Français sur deux (50%) jugeant aujourd’hui « difficile » l’accès aux soins dentaires, soit une proportion en hausse continue si on compare ce taux au niveau que l’Ifop pouvait mesurer sur le sujet il y a six ans (34% en octobre 2012).
Une renonciation croissante aux soins dentaires, avant tout due au coût du traitement…
Le principal motif de cette dégradation de l’accès aux soins bucco-dentaires est leur coût si l’on en juge par la proportion record de patients ayant déjà dû y renoncer au moins une fois pour des questions de budget : 45% d’entre eux expliquent qu’ils ont déjà du renoncé à des soins dentaires à cause de leur coût, soit une proportion en forte hausse en cinq ans (+10 points entre octobre 2013 et novembre 2018).
Et parmi les facteurs financiers ayant déjà amené les Français à renoncer à des soins dentaires dans leur vie, le coût des prothèses dentaires arrivent largement en tête : plus d’un Français sur trois (35%) a déjà renoncé à se faire soigner les dents en raison du coût d’achat et de mise en place des prothèses, contre un sur cinq à cause du montant d’une consultation de base (22%) ou des soins dentaires « conservateurs » (23%).
Il faut dire que si une large majorité de Français se dit bien remboursée pour des prestations basiques comme les consultations de base (76%) ou des soins dentaires simples comme le détartrage ou le traitement de carie (69%), ce n’est pas le cas pour ce qui est de l’achat et de la mise en place de prothèses qui restent « mal remboursés » pour les trois quarts des Français (73%)…. mais aussi à un allongement conséquent des délais d’attente chez les dentistes.
Mais d’autres facteurs peuvent aussi jouer dans la renonciation aux soins. Certains sont d’ordre psychologique comme la peur de la douleur, qui a déjà amené un Français sur trois (33%) à ne pas se faire soigner. D’autres sont plus directement liés aux conditions d’accès aux professionnels de santé comme la difficulté d’obtenir un RDV dans un délai rapide qui a déjà poussé un Français sur trois (31%) à renoncer à des soins dentaires.
Il est vrai que l’enquête met également en lumière un allongement conséquent des délais d’attente chez les dentistes. En effet, en à peine quatre ans, les délais d’obtention d’un rendez-vous ont littéralement explosé, passant d’une moyenne de 27 jours en 2014 à 40 jours en 2018. En cela, les dentistes n’échappent à la dégradation générale du temps d’attente observé pour tous les spécialistes depuis quelques années. [1]
La prise en charge à 100% des prothèses : un engagement qui suscite à la fois du scepticisme et de l’inquiétude
Face à cette situation, la prise en charge intégrale du coût des couronnes et prothèses dentaires par la sécurité sociale et les mutuelles promise par Emmanuel Macron durant la campagne électorale rend les Français pour le moins circonspects : seuls 9% d’entre eux pensent que cet engagement sera « totalement » respecté et 42% « seulement partiellement ».
Et si les deux tiers des Français (65%) trouvent « satisfaisant » l’accord signé récemment entre les partenaires sociaux sur le sujet, ils n’en sont pas moins une majorité (53%) à craindre qu’un tel accord – qui prévoit un plafonnement des honoraires des dentistes pour la pose de couronnes et de prothèses dentaires – engendre « une baisse de la qualité des soins et des prothèses » assurés par les professionnels de santé.
LE POINT DE VUE DE L’IFOP SUR LES RESULTATS DE L’ETUDE
Quel enseignement général tirez-vous de cette enquête?
Le principal enseignement de cette enquête est que la récente annonce d’un reste à charge zéro pour les prothèses dentaires est loin d’apaiser le mécontentement croissant des Français à l’égard d’un système de soins dont l’accès est jugé « difficile » par de plus en plus de Français (50% en 2018, contre 34% en 2012) et auquel une proportion croissante de patients renonce, principalement pour des questions de budget (45 %, +10 points entre 2013 et 2018) mais aussi de délais (31%) : le délai moyen d’obtention d’un rendez-vous chez un dentiste ayant connu un allongement conséquent en l’espace de quatre ans (40 jours en 2018, contre 27 jours en 2014).
Quelle est votre lecture des résultats de cette enquête au sujet des inégalités face aux soins dentaires en France?
Sur ce point, les résultats mettent moins en lumière une fracture entre la France périphérique et les grandes métropoles qu’une fracture sociale entre riches et pauvres.
Cela apparaît par exemple dans la proportion de Français suivant les recommandations des autorités sanitaires en terme de visites chez le dentiste (55% font au moins une visite annuelle, -4 points depuis 2013). L’écart est très net entre les personnes aux revenus par individu supérieurs à 2500€ nets/mois (63%) et ceux vivant avec moins de 900€ par mois (44%), tout comme le fossé qui apparaît sur le sujet entre les Français vivant dans des banlieues aisées (64 %) et ceux vivant dans des banlieues populaires (48 %). Ainsi, la question de l’accès aux soins ne se résume pas aux déserts médicaux qui affectent les milieux ruraux : la difficulté est encore plus forte dans certaines banlieues difficiles désertées par les professions de santé pour des questions de sécurité ou de manque de rentabilité.
Faut-il y voir un symbole de la fracture sociale ?
D’une certaine manière, et cette facture apparaît tout particulièrement dans le profil de Français ayant déjà renoncé à un soin dentaire en raison du coût du traitement qui concerne désormais près d’un patient sur deux (46%). Les personnes les plus pauvres, c’est-à-dire vivant avec moins de 900€ par mois sont deux fois plus nombreuses (62%) à avoir déjà dû renoncer à un soin pour des questions de coût que celles vivant avec plus de 2500€ nets / mois (29%). De même, l’exclusion du système de soins dentaires pour des questions budgétaires affecte beaucoup plus les ouvriers (54 %) que les cadres (35 %) et davantage les personnes ayant la CMU (55%) que celles ayant une couverture complémentaire individuels (44 %). Contrairement aux idées reçues, le système de santé français est donc loin d’offrir une réelle égalité d’accès aux soins.
LES PRINCIPAUX ENSEIGNEMENTS DE L’ENQUETE
I) UNE NETTE DEGRADATION DE L’ACCES AUX SOINS BUCCO-DENTAIRES EN FRANCE
Le premier enseignement de l’étude réside dans la baisse de la fréquence des soins chez le dentiste : alors que les professionnels du secteur recommandent une consultation par an, cette pratique n’est effectivement suivie que par un peu plus d’un Français sur deux (55%). De plus, ce taux est en diminution par rapport à la mesure de 2013 (-4 points). Inversement, la proportion de Français n’ayant pas consulté de dentiste depuis au moins deux ans a augmenté de 10 points en cinq ans, atteignant désormais 25%.
L’accès aux soins dentaires constitue donc un fort marqueur social.
Cette faible fréquence du recours aux soins dentaires s’observe tout particulièrement chez les catégories modestes de la population : seule une minorité d’ouvriers (44%), de personnes aux faibles revenus (44%) et d’habitants de banlieues « populaires » (48%) se sont rendus chez un dentiste au moins une fois par an, alors que les habitants des banlieues « aisées » et les personnes gagnant plus de 2500 euros par mois se rendent pour près de deux tiers d’entre elles (63%) régulièrement chez le dentiste.
II) UNE DEGRADATION DE L’ACCES AUX SOINS DENTAIRES A LA FOIS VECUE ET RESSENTIE PAR LES FRANÇAIS
Cette baisse de la fréquence des soins dentaires s’accompagne précisément d’une dégradation de la perception de l’accès à ces soins : alors que 66% des Français considéraient en 2012 que l’accès aux soins assurés par les dentistes était « facile », ils ne sont aujourd’hui plus que 50% à en dire autant.
Là encore, des disparités importantes existent au sein de la population : si 62% des cadres jugent « facile » d’accéder à des soins dentaires, seuls 47% des ouvriers partagent ce constat.
LE REGARD DES FRANÇAIS SUR LA FACILITE D’ACCES AUX SOINS DENTAIRES
Au-delà du seul sentiment, la dégradation de l’accès aux soins dentaires recouvre une certaine réalité dans les actes : en effet, 62% des Français déclarent avoir renoncé à des soins dentaires au moins une fois.
Le coût des soins dentaires et les délais d’attente constituent des obstacles important pour une grande partie de la population
Un taux de renonciation élevé qui s’explique par deux principaux facteurs :
– Le coût des soins dentaires : pour près d’une personne sur deux (45%), la question financière a déjà conduit à renoncer à des soins, soit une hausse de 10 points en 5 ans.
Si cette barrière financière concerne tous les types de prestations dentaires, elle touche particulièrement l’achat et la mise en place des prothèses, un tiers des personnes (35%) concernées par la renonciation aux soins ayant renoncé plus particulièrement à cette prestation, alors qu’une sur cinq a renoncé à une consultation de base chez un dentiste (22%).
LA RENONCIATION A DES SOINS DENTAIRES
Dans le détail, une fois de plus, ce constat laisse apparaitre de profondes disparités : si la moyenne du renoncement aux soins pour des raisons de coûts est de 46% pour l’ensemble population, ce score atteint 62% chez les personnes ayant les revenus les plus faibles et 29% chez les Français les plus aisés.
LE PROFIL DES FRANÇAIS AYANT RENONCE AU MOINS UNE FOIS A DES SOINS DENTAIRES EN RAISON DU COUT
– L’autre facteur prépondérant de la renonciation aux soins dentaires a trait aux délais d’attentes pour obtenir une consultation chez le dentiste : 31% des Français expriment ainsi avoir déjà renoncé à des soins en raison de la difficulté à obtenir un rendez-vous dans un délai suffisamment rapide.
Et ce d’autant plus que ces délais ont explosé : alors qu’il fallait attendre en moyenne 27 jours en 2014 pour obtenir un rendez-vous, les Français doivent aujourd’hui en compter 40, soit une augmentation de 13 jours.
A cela s’ajoute la problématique de l’éloignement géographique, mentionnée par 15% des sondés comme ayant causé un renoncement aux soins. La question sociale se mêle donc à une problématique territoriale, faisant ainsi écho aux récents débats sur les déserts médicaux.
III) DES FRANÇAIS SCEPTIQUES FACE AUX PROMESSES D’EMMANUEL MACRON
Face à cette situation, le gouvernement fait donc l’objet de fortes attentes, d’autant plus que la promesse de campagne d’Emmanuel Macron proposant une prise en charge totale des soins dentaires avaient marqué les esprits. Récemment traduite par un accord signé avec les partenaires sociaux, elle devrait permettre de plafonner, à partir de 2020-2021, le prix de certaines prothèses dentaires et d’assurer leur remboursement intégral. Si cet accord rencontre une satisfaction assez large dans la population (65%), il laisse les Français dubitatifs quant à ses conséquences.
En premier lieu, un peu plus d’un Français sur deux (53%) pense que cette promesse de campagne ne sera pas respectée. Le clivage social constaté dans l’accès aux soins dentaires se retrouve d’ailleurs aussi en matière concernant la crédibilité associée à cette mesure : les catégories modestes sont plus sceptiques s’agissant de la mise en œuvre de cette mesure que les groupes sociaux plus aisés : 56% des employés et 54% des ouvriers ne croient pas en l’application d’un reste à charge zéro contre seulement 41% des cadres et professions intellectuelles supérieures
Mais au-delà du simple scepticisme relatif à la mise en œuvre de la mesure, c’est une véritable préoccupation qui se fait jour chez les Français puisque plus de la moitié d’entre eux (53%) considère en effet que cet accord risque de conduire à une baisse de la qualité des soins ; une inquiétude se répartissant de manière assez homogène dans les différentes catégories de la population.
Retrouvez l’article complet sur le sujet en cliquant sur le lien suivant : https://www.dentaly.org/ifop-
[1] Cf. Observatoire de l’accès aux soins Ifop / Jalma mars 2017