Le 18 juillet dernier, une manifestation nationale a été organisée en Espagne pour protester contre le « scandale iDental ». Une affaire semblable à celle de Dentexia en France, mais de plus grande ampleur encore puisque plus de 100 000 patients ont d’ores et déjà porté plainte. Juan Carlos Llodra, directeur exécutif du Conseil de l’Ordre des chirurgiens-dentistes espagnols, explique les dérives insupportables de l’ultra-libéralisme qui règne dans le secteur dentaire du pays.
Le Chirurgien-dentiste de France : En quoi consiste l’« affaire iDental » ?
Juan Carlos Llodra : Il s’agit du plus gros scandale dentaire que l’Espagne a connu. En un mois, les 24 cliniques de soins dentaires à bas coût du groupe iDental ont fermé. Depuis, le groupe s’est déclaré en faillite. La presse espagnole parle de 350 000 patients laissés sans soins ou en cours de soins, alors qu’ils ont déjà payé pour leur traitement. C’est abominable ! En 2016, déjà, l’ancien patron du groupe Funnydent a été arrêté et ses neuf cliniques dentaires low-cost fermées, laissant plus de 2 000 patients dans le désarroi. Dans la foulée, le propriétaire du groupe Vitaldent, qui regroupe plus de 400 cliniques dentaires pour la plupart franchisées, a été arrêté pour fraude fiscale et extorsion de fonds. Mais cette fois, le scandale est plus vaste. Au sein du Conseil de l’Ordre des chirurgiens-dentistes et à travers l’association Adafi – créée expressément par les patients concernés -, nous avons recueilli plus de 100 000 plaintes de patients d’iDental et cela devrait encore augmenter dans les semaines à venir. Nous mettons tout en oeuvre pour informer et aider les victimes dans leurs démarches. Mais il faudra compter deux à trois ans avant que les dossiers soient jugés. Pendant ce tempslà, les patients, généralement parmi les plus démunis du pays, se retrouvent sans traitement, souvent sans dent et sans argent
Comment expliquez-vous cette situation ?
J-C. L. : Depuis une vingtaine d’années, les chaînes de cliniques dentaires franchisées se multiplient en Espagne. Elles sont aux mains de financiers qui détournent la loi espagnole qui impose que tout cabinet ou toute clinique dentaire soit au minimum détenu à 51 % par des praticiens de l’art dentaire. Ils s’associent, par exemple, avec de jeunes chirurgiens-dentistes qui acceptent, contre rémunération,de participer à hauteur de 1, 2 ou 3 % dans ces chaînes. Par ailleurs, quelques assurances privées et quelques praticiens ont créé des macro-cliniques dans un but clairement commercial. Dans ces trois cas, la philosophie est la même : c’est la rentabilité avant tout.
Ces chaînes et ces macro-cliniques privées sont-elles nombreuses aujourd’hui ?
J. C. L. : En 2017, 5 % des cliniques ou cabinets dentaires – soit environ 1 000 sur 22 000 au total – appartenaient à une chaîne, un assureur ou un praticien peu scrupuleux. Leur force de frappe est énorme. Ces « supermarchés de la dent »
reçoivent des centaines de patients par jour. Les chirurgiens-dentistes et leurs assistants y travaillent à la chaîne. Leurs stratégies publicitaires sont très agressives et parfois clairement mensongères. Elles annoncent des prix extrêmement bas, des implants « à partir de 220 euros » par exemple, en omettant délibérément de parler des phases de traitement préalables, pourtant indispensables. Elles font également croire à des prix du marché exorbitants, pour ensuite donner l’illusion d’octroyer de forts rabais. À l’arrivée, les prix pratiqués par ces cliniques sont beaucoup plus élevés que dans un cabinet libéral traditionnel. Et la qualité des soins est loin d’être au rendez-vous. En juin 2014, l’Ordre des chirurgiens-dentistes a créé un observatoire de la santé orale pour, entre autres, recueillir les plaintesdes patients. En 2017, ce dernier a établi qu’un peu plus de 50 % des plaintes reçues sont dirigées contre ce type de cliniques à but commercial !
Quels sont les motifs des plaintes déposées contre ces cliniques dentaires ?
J. C. L. : Le premier est d’ordre clinique : mal-positionnement de prothèses, infections, douleurs… Le deuxième est d’ordre économique. En effet, les cliniques en question sont souvent adossées à des organismes de financement. Chez iDental, par exemple, les patients étaient reçus par un chirurgien-dentiste pour un diagnostic, puis un agent commercial prenait le relais en leur proposant des baisses de tarifs – alléchantes en apparence – sur certains soins, des aides financières et des facilités de paiement. Les patients devaient se décider extrêmement rapidement pour bénéficier de ces pseudo-offres.Et le piège se refermait sur eux. Aujourd’hui, ils doivent payer les sommes dûes– parfois jusqu’à 8 000 euros – qu’ils
aient ou non reçu leurs soins.
Que fait l’Ordre pour lutter contre ces pratiques ?
J. C. L. : Nous dénonçons toutes les publicités mensongères, qu’elles soient diffusées à la télé ou à la radio. De plus, il y a huit mois, nous avons enfin réussi à convaincre tous les groupes politiques espagnols, de gauche comme de droite, de renforcer la loi sur la publicité en santé. Malheureusement, nous avons changé de gouvernement fin mai. Il nous faut donc renégocier avec les nouvelles autorités sanitaires. Nous avons toutefois bon espoir de faire changer la loi. Le scandale iDental sera un argument supplémentaire. Enfin, nous militons pour un ensemble de nouvelles lois, destinées à défendre un exercice dentaire basé sur l’éthique, les normes et la déontologie professionnelle et non sur les lois du marché pures et dures. Nous avons alerté, en vain, pendant des années, le gouvernement sur les dérives observées dans le secteur dentaire. Nous espérons, une fois pour toute, être entendus pour que le
scandale iDental ne se reproduise plus jamais.
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